Une sorte de hideux iguane avec des pinces coupantes de homard et à l'abdomen visqueux se promenait  sur mon corps nu et remontait lentement vers mon visage.

Je ne pouvais m'en débarrasser pour la raison que je me trouvais au centième étage d'un building oscillant, et que mes mains étaient occupées à maintenir un équilibre précaire. Quand il arriva sur mon visage, il leva sa tarière répugnante et déposa dans ma bouche entrouverte une kyrielle d'oeufs sucrés et de toute évidence, vénéneux comme des boules de sureau. 

C'en était trop et je me réveillai, en sueur...

Il est bien moche, ton pays d'adoption, ai-je dit à Machin qui m'attendait, tout fiérot, à l'aéroport de la Tontouta.

J'ai bien vu que je faisais de la peine au gros journaliste (qui avait d'ailleurs sensiblement maigri), mais j'étais dans une humeur de chien, dans ce petit matin grisé de Nouvelle-Calédonie qui n'évoquait pas du tout la carte postale exotique.

Vingt-six heures, coincé dans une bétaillère baptisée indûment, du nom d'avion, des escales à piétiner devant un bar fermé (Bahrein), des boutiques qui n'acceptent pas l'argent français (Singapour) ou dans une annexe de La Mecque (Djakarta) où la salle d'attente était transformée en lieu de prière.

J'ai d'abord cru que ma profession de fabricant de polars me flanquait des hallucinations. 

Ma garce de femme que je rencontre inopinément chez un vieux politicard vicelard.  Des meurtres qui me paraissent gratuits, et qu'on me colle sur le dos. Est-ce que je vis ou est-ce que je rêve un roman de mon invention ?

Et quand j'ai compris, enfin, que je portais le chapeau pour une histoire de chantage politico-truandesque, il était presque trop tard.

A.D.G.

Un enterrement en achélème, ça serait plutôt rigolo, un côté hâtif préside à la cérémonie, laquelle prend de ce fait une allure de déménagement. 

Le corps de Marité avait été rendu à Grogembre qui n'en avait pas voulu dans l'appartement, l'avait laissé en dépôt à la morgue de l'hôpital, mais on sait pourquoi le matuche tenait à ce qu'on fasse un crochet par son immeuble, histoire sans doute de montrer aux voisins qu'il faisait dans les règles et d'atténuer le furtif de l'affaire.

C'est bien connu, on enterre toujours les assassinés discrètement, comme s'ils s'étaient rendus coupables d'une indélicatesse grave à l'encontre de la famille, un manque de savoir-vivre, justement.

En fourgonnant dans son bric-à-brac, je finis par dénicher une bouteille pleine d'un assez exécrable scotch à l'étiquette d'un gros cerf dont je n'aurais même pas voulu comme after-chèvre et voulu lui verser une rasade dans le bouchon comme on fait en coup de chasse, mais le vieux drôle empoigna la boutanche et en têta au goulot une rasade impressionnante. 

À mon sens, ç'aurait dû l'achever mais bien au contraire, il se redressa sur son lit et me contempla d'un oeil nouveau.

Ils nous avaient donné du tracas, ces hippizes et ces ganguestères, mais on avait eu quand même des compensations, si vous vous rappelez la nuit des grands chiens malades.

Et voilà que ça recommençait, à croire que tous ces étrangers s'étaient donné le mot pour rappliquer chez nous.

Ces gens nous prenaient pour des indigènes, mais on allait leur montrer qu'on avait quelque chose dans notre culotte, parole de Berrichon !

Pourquoi avait-on tué dans la tranquille Touraine ce mystérieux Eurasien, de retour d'Afrique ? 

Qui protégeait ses exécuteurs venus du chaud ? 

Voilà que moi, Pascal Delcroix, avocat, et mon acolyte, Serguie Djerbitskine, dit "Machin", journaliste, avions décidé de découvrir pour les beaux yeux bridés d'une biche aux abois. 

Et on a plongé en plein pot-au-noir...

1947 - 2004 

Biographie

De son vrai nom Alain Fournier, dit Camille, il naît en 1947, à Tours. Engagé comme enfant de troupe dès l'âge de douze ans, une fois son B.E.P.C en poche, il commence sa vie professionnelle comme employé de banque, puis brocanteur et bouquiniste. En 1966, il devient le collaborateur du président de la "Jeune Force Poétique Française", en tant que directeur littéraire. Il prend alors le pseudonyme d'Alain Dreux-Gallou, (patronyme de ses grands-parents) dont il conservera le sigle A.D.G. (avec les trois points), comme nom de plume. (Son nom est l'homonyme d'un grand de la Littérature française, j'ai nommé Alain-Fournier, dont, d'ailleurs, A.D.G. "empruntera", avec  un humour plein de respect le titre de son livre: Le grand môme.)

Son premier roman paraît en 1971, avec La divine surprise, il devient l'auteur phare de la collection "Série Noire"  chez Gallimard  et va s'affirmer dans les dix années suivantes comme l'un des maîtres du néo-polar français, (... à contre-courant de la pensée unique de l'après-68 ). Provocateur et pratiquant convaincu de l'auto-dérision, que ce soit dans ses romans ou dans les chroniques, qu'il écrit alors pour divers journaux (de toute obédience politique, dans ses débuts...), il se considère plutôt comme un anarchiste de droite. Il écrit également des scénarios de bandes dessinées et de téléfilms (dont le fameux "Chéri-Bibi" de Gaston Leroux), collabore à l'écriture de scénarios avec Michel Audiard, dont il a fait connaissance grâce à Alfred Boudard, rencontré à son arrivée à Paris peu après le succès de son roman La nuit des grands chiens malades. Ce roman sera adapté au cinéma par Georges Lautner sous le titre : "Quelques messieurs trop tranquilles", (un "morceau" de notre anthologie cinématographique, soit dit en passant !)

En dix ans, A.D.G. va écrire une vingtaine de romans, tous publiés aux Éditions Gallimard. Parti en Nouvelle-Calédonie en 1981, pour diverses raisons, il décide de s'y installer et entreprend la rédaction d'un roman historique, consacré à la colonisation de l'île, qui ne rencontre qu'un succès d'estime. Dépité, il abandonne l'idée d'écrire une suite, il se remet alors à l'écriture de romans policiers, dans lesquels il continue de s'attaquer aux Indépendantistes Canaques. Ces trois romans, écrits entre 1987 et 1991, ne sont pas: «... à la hauteur du talent qu'il a déjà montré.» selon l'auteur lui-même. Revenu en France en 1991, s'il écrit encore pour des journaux tels que "Minute", "Rivarol" et... "Figaro Littéraire", il lui manque la motivation, l'inspiration pour un nouveau roman. Il faut attendre 2003 pour lire Kangouroad movie, le dernier livre d'A.D.G., dans la Série Noire. Il décède en 2004 des suites d'un cancer.

En 2007, les Éditions Le Dilettante font paraître, à titre et hommage posthume, J'ai déjà donné..., avant-dernier livre de l'auteur resté inédit jusque là; en 2008, la même maison d'édition publie "Papiers gommés" qui rassemble cent chroniques écrites par ADG entre 1993 et 1996 et parues dans le décadaire "Le Libre Journal de la France courtoise" sous le titre "Et c'est ainsi..." 

(Sources: Wikipedia / Le Dilettante / ledevoir.com / lopinion.com)

Elleon

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Elleon a retenu

« ... Je suis le plus "situationniste" des auteurs de polar, je détourne, j'adore le pastiche, c'est une façon de ne pas prendre la littérature trop au sérieux... »   -   A.D.G.   -

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« ... le génie d'A.D.G., outre un vocabulaire fabuleux, c'est un "poudingue" d'Albert Simonin, un zeste d'Ange Bastiani, révisé par Bob Giraud, modifié par Bobby Lapointe. Il y a pire comme parrains ! »   -   Les Amis d'A.D.G.   -

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Résumés

1. Balles nègres (Éd. Gallimard - 1981)
2. Berry Story (Éd. Gallimard - 1973)
3. C'est le bagne ! (Éd. Gallimard - 1988)
4. Cradoque's band (Éd. Gallimard - 1972)
5. J'ai déjà donné... (Éd. Le Dilettante - 2007)
6. Je suis un roman noir (Éd. Gallimard - 2004)
7. Joujoux sur le caillou (Éd. Gallimard - 1987)
8. Juste un rigolo (Éd. Gallimard - 1977)
9. Kangouroad movie (Éd. Gallimard - 2003)
10. La divine surprise (Éd. Gallimard - 1971)
11. La marche truque... (Éd. Gallimard - 1972)
12. La nuit des grands chiens malades (Éd. Gallimard - 1972)
13. Le grand Môme (Éd. Gallimard - 1977)
14. Les billets nickelés (Éd. Gallimard - 1988)
15. Les panadeux (Éd. Gallimard - 1971)
16. Les trois Badours (Éd. Gallimard - 2001)
17. L'otage est sans pitié (Éd. Gallimard - 1976)
18. Notre frère qui êtes odieux... (Éd. Gallimard - 1974)
19. On n'est pas des chiens (Éd. Gallimard - 1982)
20. Pour venger pépère (Éd. Gallimard - 1980)

ainsi que quelques romans divers